Évangile selon Saint Matthieu 2. 13-15. 19-23
« Lorsqu’ils furent partis, l’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit : Levez-vous, prenez l’enfant et sa mère, fuyez en Egypte et n’en partez point que je ne vous le dise, car Hérode cherche l’Enfant pour le faire mourir. » (2, 13)
Mon Dieu, que vous êtes bon de conduire ainsi vos serviteurs dans toutes leurs voies ; tantôt vous les conduisez par des moyens naturels, comme quand vous amenez la sainte Famille à Bethléem pour un recensement, tantôt vous les guidez par des moyens surnaturels comme ici : tout est entre vos mains, les empereurs païens comme les saints Anges, et vous vous servez de tout à votre gré pour conduire à leur fin, par les voies que vous voulez, les âmes de bonne volonté. Ayons confiance. Quand nous sommes dans les ténèbres, la nuit, gardons-nous de nous décourager, soyons persuadés que Dieu veille sur nous et nous guidera toujours, soit que nous nous en rendions compte, soit à notre insu, pourvu que nous soyons fidèles. Ce n’est pas seulement parce qu’il y a ici Notre Seigneur Jésus que Dieu conduit si constamment saint Joseph, car nous le voyons avoir une sollicitude semblable pour les saints de l’Ancien Testament, et conduire dans toutes leurs démarches par des moyens souvent surnaturels Abraham, Isaac, Jacob. C’est sa conduite avec toutes les âmes fidèles : « Ses yeux sont sur les justes», dit-il lui-même, pour les garder et les conduire sans cesse. Ne nous décourageons jamais dans les obscurités, mais attachons-nous de plus en plus fermement à la pure volonté de faire en tout ce qui glorifie le plus Dieu, dans son pur amour, et faisons tout ce que Dieu, tout ce que l’Église prescrivent pour connaître la volonté divine et la faire, et soyons sûrs qu’avec de telles dispositions et une telle manière de faire, nous ne nous tromperons jamais, dans quelques ténèbres que nous marchions, Dieu guidant à notre insu nos démarches jusqu’au moment où il lui plaira de nous donner la lumière et de nous faire voir le chemin où il nous appelle. C’est pourquoi saint Jean de la Croix dit ces mots si vrais et si consolants : « Celui qui ne veut pas autre chose que Dieu, ne marche pas dans les ténèbres quelque pauvre et dénué de lumière qu’il se puisse croire. » Et l’Esprit-Saint nous laisse entendre la même vérité, car que demande-t-il pour que tout ce qui arrive coopère à notre bien, c’est-à-dire nous fasse avancer dans l’amour de Dieu et le glorifier ? que nous ayons des lumières ? Non : uniquement que nous aimions Dieu, que nous l’aimions de cœur et d’œuvres : « Tout ce qui arrive coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. » Il est aussi facile à Dieu de nous conduire dans les ténèbres que dans la lumière, et il nous a donné un moyen infaillible de ne jamais nous égarer, même dans la nuit la plus profonde, en mettant près de nous des représentants à qui il a dit : « Qui vous écoute, m’écoute. » Obéissance aux interprètes authentiques de la volonté de Dieu, pureté d’intention, volonté et cœur attachés à Dieu seul, avec cela marchons en paix et confiance dans les plus obscures ténèbres, nous réjouissant de ces ténèbres mêmes qui, d’une part, nous donnent le moyen de glorifier Dieu par l’acte de foi continuel qu’elles nous font faire, la vie de pure foi qu’elles nous font mener, ainsi que par le sacrifice qu’elles nous imposent, et qui, d’autre part, sont un bien pour notre âme puisque «tout ce qui arrive coopère au bien de ceux qui aiment Dieu», et que, comme l’a si bien démontré saint Jean de la Croix, la nuit intérieure est une épreuve indispensable à l’âme pour se purifier de ses impuretés, de ses attachements terrestres et naître à la vie du pur amour. L’âme plongée dans la nuit, et qui cependant sent en elle qu’elle veut Dieu seul et voit qu’elle est pleinement soumise à lui par la parfaite obéissance à son représentant, cette âme doit se dire qu’elle est par cette nuit comme « rentrée dans le sein de sa mère », selon la parole de Nicodème pour renaître à une vie nouvelle, la vie du pur amour, qui sera d’autant plus rayonnante que la nuit d’où elle sortira aura été plus profonde. Depuis le péché d’Adam, le bien ne se fait ici-bas qu’au prix d’une peine proportionnée à ce bien : aussi le plus grand des biens que nous puissions acquérir ici-bas, l’amour pour Dieu, ne peut être acquis par l’âme que par les plus grandes souffrances : plus nous souffrons, soit par les hommes, soit par les démons, soit dans notre corps, soit dans notre cœur, soit par les tentations, soit par les obscurités intérieures, lesquelles sont la plus poignante et par conséquent la plus salutaire et la plus utile de toutes les douleurs, plus nous souffrons de quelque manière que ce soit et surtout de cette dernière manière qui fait pénétrer la douleur si au fond, si jusqu’à la moelle, plus nous souffrons, plus il faut nous réjouir et bénir Dieu, car plus notre douleur est grande, plus nous devenons capables d’un grand amour ; en nous faisant beaucoup souffrir Dieu ne fait que nous donner le moyen de beaucoup l’aimer ; la mesure de nos souffrances sera la mesure et de notre amour pour Dieu et de la gloire que nous lui rapporterons. Ne demandons donc pas la lumière avant que Dieu juge lui-même le moment venu de nous la donner, puisque les ténèbres nous comblent de biens si précieux, demandons seulement à Dieu de le glorifier le plus possible en tous les instants de notre vie dans ce monde et dans l’autre, et pour cela de l’aimer le plus possible : et ajoutons que nous demandons cela non seulement pour nous, mais non moins pour tous les hommes, en vue de lui seul, pour sa seule gloire : «Que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive. » En vue de vous seul, pour votre plus grande gloire, ô Dieu bien-aimé[[C. DE FOUCAULD, Commentaire de Saint Matthieu. Lecture Commentée de l’Évangile, Nouvelle Cité, Paris 1989, p. 131.]] !