Évangile selon Saint Luc 15, 1-3.11-32
Accourant, il tomba sur son cou et l’embrassa… Apportez sa tunique première et des chaussures et tuez le veau gras.
Mon Dieu, que vous êtes bon ! C’est ce que vous avez fait pour moi ! Oui, jeune, je suis allé loin de vous, loin de votre maison, de vos saints autels, de votre Église, dans un pays éloigné, le pays des choses profanes, des créatures, de l’incrédulité, de l’indifférence, des passions terrestres… Oh ! qu’il est douloureusement loin de vous ce pays-là ! J’y suis resté longtemps, 13 ans, dissipant ma jeunesse dans le péché et la folie. Votre première grâce (non la première de ma vie, car elles sont innombrables à toutes heures de mon existence, mais celle en laquelle je vois comme la première aube de ma conversion), c’est de m’avoir fait éprouver la famine, famine matérielle et spirituelle ; vous avez eu la bonté infinie de me mettre dans des difficultés matérielles qui m’ont fait souffrir et m’ont fait trouver des épines dans cette folle vie ; vous m’avez fait éprouver la famine spirituelle en me faisant éprouver des désirs intimes d’un meilleur état moral, des goûts de vertu, des besoins de bien moral ; et puis, quand je suis revenu vers vous, bien timidement, en tâtonnant, vous faisant cette étrange prière : « Si vous existez, faites que je vous connaisse », ô Dieu de bonté qui n’aviez cessé d’agir depuis ma naissance en moi et autour de moi pour amener ce moment, avec quelle tendresse, « accourant aussitôt, vous tombâtes sur mon cou, m’embrassâtes » ; avec quel empressement vous me rendîtes la tunique d’innocence… Et à quel divin festin, bien autre que celui du père de l’enfant prodigue, vous m’invitâtes aussitôt… Comme il est bon ce Père de l’enfant prodigue ! Mais comme vous êtes mille fois plus tendre que lui ! Comme vous avez fait mille fois plus pour moi qu’il n’a fait pour son fils ! Que vous êtes bon, mon Seigneur et mon Dieu ! Merci, merci, merci, sans fin merci !
Enfant prodigue, non seulement reçu avec une si ineffable bonté, sans punition, sans réprimande, sans nul souvenir du passé, mais avec des baisers, la tunique première et l’anneau d’enfant de la maison, non seulement reçu ainsi, mais cherché par ce Père béni et rapporté par lui de ces pays lointains, quels sont mes devoirs envers ce Père Bien-aimé ? D’abord de l’aimer, ensuite de l’aimer et enfin encore de l’aimer, car aimer contient tout. Aimer contient l’obéissance; aimer contient l’imitation de tout ce qu’on lui voit faire et qu’il permet que nous imitions ; aimer contient une continuelle contemplation; aimer contient le repentir des fautes commises contre lui ; aimer contient l’humilité à la vue de la distance qui sépare notre misère de sa perfection ; aimer contient le zèle à accomplir toutes les œuvres utiles à son service et conformes à sa volonté ; aimer contient l’application continuelle à être et à faire continuellement ce qui lui est le plus agréable… Et assurément une des choses qui lui sont le plus agréables, c’est que nous nous montrions tendres comme il l’a été, envers nos frères cadets prodigues à leur tour, que nous les cherchions comme il nous a cherchés, entrant dans son travail, par nos prières toujours et par tous les autres moyens en notre pouvoir lorsqu’il nous en donne mission… Non seulement que nous les cherchions, mais que, soit dans nos prières, soit dans nos autres œuvres dirigées dans ce but, nous mettions un zèle presque infini, un zèle infini même, autant que cela est possible à des hommes, car ce n’est pas pour des créatures que nous travaillons, c’est pour Dieu ; c’est pour accomplir cette œuvre d’une conversion, qui lui est si agréable, que le ciel s’en réjouit plus que de la persévérance de 99 justes ; c’est pour accomplir cette œuvre, qui lui est si agréable, qu’il dit : « Il convient de se réjouir, car ton frère était mort et voici qu’il vit. » C’est pour accomplir cette œuvre qui lui est si agréable qu’il nous ordonne d’en demander, non conditionnellement mais formellement, la réussite à son Père, en nous faisant dire : « Que votre nom soit sanctifié… Que votre règne arrive… Que votre volonté se fasse sur la terre comme au ciel… » Et puis quand notre petit frère prodigue rentre au foyer, il faut le recevoir comme notre Père le reçoit, comme notre Père nous a reçus nous-mêmes, sans retour sur le passé, sans réprimande, sans méfiance pour l’avenir, en disant : « Mais je suis sûr qu’il ira au ciel » (cette parole qui m’a fait tant de bien !), en lui montrant la même confiance, la même affection, la même tendresse, la même estime que s’il n’était jamais sorti de la maison, avec cet oubli complet de ses fautes que nous avons besoin que Dieu ait pour nous, avec ce sentiment que ses fautes, non cachées, non couvertes, mais radicalement détruites par la confession, sont aussi radicalement détruites pour nous ; que le seul, le seul vestige du passé qui paraisse en nous soit la joie profonde et débordante du retour, la joie se manifestant en courant à sa rencontre, en tombant sur son cou, en lui rendant son vêtement premier, sa place première, en tuant le veau gras, en appelant nos amis à se réjouir avec nous, en faisant en ce jour réjouissance sur la terre, comme il y a « réjouissance dans les cieux »[[M/382, sur Lc 15,11-32, en C. DE FOUCAULD, L’imitation du Bien-Aimé, Méditations sur les Saints Évangiles (2), Nouvelle Cité, Montrouge 1997, 78-80.]] !